Nous nous attardons avant de
partir des Cabanas Potosi car nous sommes tristes de quitter la belle Valle de
Anton. Avant le départ inévitable, nous prenons silencieusement notre café
matinal sur la terrasse arrière de Mireya. Celle ci a déposé du riz sur ses
mangeoires. Nous sommes entourés d'oiseaux rouges, verts, jaunes, bleus que
nous savourons à satiété.
Puis nous roulons 175 kilomètres
jusqu'à Chitré, la capitale de la province d'Herrera. Une fois sortis de la
route montagneuse et en épingle d'El Valle, nous retrouvons la monotonie de
l'autoroute Panaméricaine, la plane numéro 1. De chaque côté, des plantations
de canne à sucre et de maïs desséché. En route, nous nous arrêtons dans la
petite ville de Nata pour y dîner. Bonne décision, car son église est un
chef-d'œuvre de simplicité architecturale. Toute blanche, avec des lignes en
arabesques, elle est de pur style espagnol. Rien d'étonnant, puisqu'elle est la
plus ancienne église coloniale encore en activité au pays. Avec Panama Viejo,
Nata est la plus vieille ville post colombienne du Panama. En effet, aussi tôt
qu'en 1515, Gaspar de Espinosa y entreprenait une initiative de colonisation.
L'intérieur du temple est tout en bois, avec des colonnes taillées à la hache.
Une peinture datant de 1758 y représente la Trinité sous forme de trois
personnages ressemblant au Christ, ce qui ne correspond pas aux normes du droit
canon. Notre copieux dîner ne nous coûte
que 3 dollars.
Et voilà que nous arrivons à
Chitré, avec ses 50 000 habitants et son église, toute blanche elle aussi.
L'hôtel Mali Panama est à deux pas du ''parque central'' (centre ville). Nous
mangeons comme des ogres au petit restaurant ouvert sur la rue et qui se
dénomme à juste titre ''Aire Libre''. Au menu: riz à la panaméenne et soupe aux
''camarones'' ( crevettes).
Nous nous traînons les pieds le
matin du lendemain de notre arrivée à Chitré. Plusieurs cafés, attablés au
''lobby'' de l'hôtel qui donne sur la rue au deuxième étage. Départ en fin
d'avant midi, après une autre prise de contact avec le centre ville. L''el
centro'' est bruyant, animé et avantagé par plusieurs petits parcs peu occupés.
Quelque trente kilomètres de
route sans histoire, dans une campagne sans relief et asséchée par un soleil
qui darde sans relâche. Nous savons maintenant ce qu'ont enduré les cowboys
dans les déserts des films de western hollywoodiens. Autour de nous, des
bovidés, des champs de cultures maraîchères et de maïs jaunis.
À deux pas du ''parque central''
de Las Tablas, l'hôtel Piamonte a de grandes chambres pour nous, dont la façade
donne sur l'avenue Belisario Parras, du nom d'un ancien président du pays, né
dans la petite municipalité de 9000 habitants. Il est 17 heures. Un long
cortège en provenance de l'église Santa Librada tout près passe sous notre
fenêtre. Une centaine de personnes, la mine déconfite, déambulent à largeur de
rue derrière un corbillard appesanti par des couronnes de fleurs. L'air est
lourd, les gens sont recueillis, sauf quatre hommes à la toute fin du cortège
qui parlent entre eux, comme si de rien n'était. Le défunt n'est pas encore
sous terre que déjà on commence à s'en d’ésintéresser.
Une bonne nuit de sommeil et nous
voilà mûrs pour aller enquêter sur les dessous des ''polleras'' (sans jeu de
mot coquin bien sûr). Il s'agit de ces robes de lin blanc que certaines
artisanes de la région confectionnent pour qui voudrait les porter lors des
grandes fêtes. Motifs colorés et complexes en font des chef d'œuvre très
dispendieux pour quiconque veut les acquérir. On parle d'un travail à la main
représentant de neuf à douze mois de travail. Le prix peut atteindre 5000
dollars pièce.
Nous voilà donc partis pour San
José où, dit on, plusieurs artisanes ouvrent leurs ateliers. Une fois arrivés
dans ce bourg de 1300 habitants seulement, aucune trace d'une quelconque
boutique de fabrication ou de vente de ''polleras''. L'épicière nous indique du
bout du doigt une maison où nous pourrions rencontrer une de ces brodeuses,
Nous cognons donc à la dite porte qui nous est ouverte par le fils de la
maison. Celui ci va chercher le papa, qui lui va chercher la mama, qui elle
nous invite avec un grand sourire dans son salon. Elle nous montre d'abord une
de ses œuvres puis, devant nos mines ébahies, elle en sort d'autres, puis
d'autres et encore d'autres. Elle exécute quelques points devant nous, répond à
nos questions, nous apprend qu'elle a une fille qui vit à Montréal, se fait
photographier avec nous par son fils pour envoyer ce souvenir à sa fille à Montréal. Tout cela en présence de son autre fille, qui
sourit sans arrêt à voir le contentement de sa mère à étaler ses robes de
toutes grandeurs sur le fauteuil devant nous. Reprenez votre souffle, ces
phrases étaient longues
. Éventuellement, il nous faut
prendre congé de cette famille si accueillante. Dommage, dans le feu de
l'action, nous avons oublié de nous photographier nous mêmes en présence de
cette dame et de sa famille. Il faudra aller chez sa fille à Montréal si nous
voulons un jour réparer cette bévue.
Après ces beaux moments, nous
partons pour la plage ''Las Comadres''. Pour nous y rendre, nous aboutissons au
fond d'un cul de sac qui s'arrête au Pacifique. La mer monte, les vagues
roulent, mais l'eau brunie par le sable n'est pas assez invitante pour y faire
autre chose que se tremper les pieds et bailler aux corneilles, confortablement
installés sur les rochers décorés de coquillages en train d'y fossiliser. Une
frégate ((l’oiseau) tournoie au dessus de nos têtes, des chevaliers
trempent leurs pattes délicates dans l'embrun. Nous avons tout pour être
heureux. Nous venons de lire que les maisons unifamiliales se construisent à
partir de 40 000$ dans le coin. Les fermiers annoncent des lots à vendre en
bordure de mer. Deux pêcheurs viennent de mettre leur embarcation à l'eau. Une
robuste chaloupe en fibre de verre de vingt pieds, qui rebondit sur les vagues,
poussée par un moteur hors bord manipulé manuellement. S'il ne faisait pas si
chaud, ce coin de paradis ferait un bon refuge pour hiverner.
L'avant midi a pris fin. Il est
temps de dîner. Un restaurant tout à côté semble nous prier de lui faire
l'honneur de notre présence. Nous acceptons son invitation indirecte. Les
proprios discrets nous accueillent avec un sourire. Leur menu propose bien sûr
des '' pescados'' (poissons) et des ''mariscos'' (fruits de mer) . Cela va de
soi, avec une terrasse qui jouxte la plage, tout juste à côté de la mise à
l'eau des pêcheurs. Les poissons doivent être frais. Le service est lent et
nous en sommes aise. Cela nous permet de goûter le calme et la beauté du
moment. La chair est succulente et les prix sont on ne peut plus raisonnables.
À titre indicatif, pour dix dollars seulement, Thérèse s'offre quatre grosses
langoustes, avec salade, frites et deux bières locales. Essayez de trouver la
pareille en Gaspésie.
''El Nino'', vous connaissez? Ici
à Las Platas il ne s'agit pas d'un courant marin du Pacifique sud. À chaque
mois de janvier, à peu près à pareille date, le saint patron des enfants, ''El
Nino'', fait l'objet d'un culte particulier. Les croyants, incluant surtout les
enfants, marchent en procession dans la rue, le soir. Ils chantent, accompagnés
par une fanfare dont le tambour major scande la cadence. Un char allégorique
les accompagne, supportant la statue d'un bambin, derrière lequel est suspendu
un oiseau blanc qui pourrait représenter le Saint-Esprit. Aucun prêtre ne
semble les accompagner. À moins qu'il n'en ait, habillés en laïque, qui se
confondent à la foule. Il ne s'agit là que d'un exemple de la Foi encore très
vive qui anime les panaméens. Nous avons eu à date d'autres témoignages
analogues, notamment lors d'un service religieux observé dans l'église de Nata.
Les gens semblaient y vouer un attachement spécial à Jean - Paul 2, dont
certains portaient l'image en effigie.
Le chemin est court entre Las
Tablas et Pedasi.Nous décidons donc en cours de route de visiter sommairement
La Palma et Pocri. Deux beaux petits villages aux maisons propres, colorées,
bien entretenues. Définitivement, les habitants de la péninsule d'Azuero et de
la province de Coclé ont un niveau de revenu supérieur à celui de leurs
homologues mexicains. Leurs routes sont impeccables et leurs automobilistes y
conduisent correctement. Pas de klaxons intempestifs. En outre, les panaméens
vivent à aire ouverte, c'est-à-dire qu'ils ne clôturent pas leur propriété avec
des murs de ciment de six pieds de haut comme le font les mexicains.
Pedasi se veut une ville
touristique. De ce fait, l'ambiance y est moins fébrile et affairiste. On
pourrait se croire dans un village de l'Ile d'Orléans en juillet, les érables
et les épinettes en moins. On y compte 2500 habitants seulement. Encore plus
qu'à Las Tablas, la publicité incite à l'achat de condos ou de lots pour
quiconque cherche une résidence secondaire au soleil. Les agences immobilières
y sont présentes. On veut du touriste qui s'établit, des vacanciers et
retraités qui désirent vivre entourés de plages accueillantes, dans un milieu
calme, champêtre et chic. Les appartements de une à trois chambres s'y vendent
à partir de 97 000$. On peut penser que Pedasi dans vingt ans sera la
Saint-Sauveur de la province de Los Santos. La spéculation foncière y est déjà
installée. Le prix des propriétés y semble en effet sensiblement plus élevé
qu'à Las Tablas.
Près de Pedasi, à environ cinq
kilomètres au large de Playa El Arenal, on voit se profiler l'Isla Iguana, qui
abrite un Refugio de Vida Sylvestre. Comme l'indique son nom, on y trouve des
iguanes, mais aussi une plage paradisiaque que n'aurait pas dédaignée Robinson
Crusoë.
Pour s'y rendre, de robustes
chaloupes en fibre de verre de vingt pieds de long, poussées par des hors bord
de quarante forces. Les vagues sont hautes. Elles feraient pâlir sinon blanchir
de peur notre ami Jean. Rien à voir avec la houle que nous avions affronté
ensemble en kayak sur le Saguenay. Nous parlons cette fois de déferlantes
océaniques, qui font lever la proue à quarante cinq degrés, sinon plus. Gare à
celles ou ceux qui n'ont pas de fesses, car le claquement répété et sec de la
coque qui bascule de l'autre côté des vagues devient vite une épreuve pour des
os non enveloppés.
Côté végétation, on y voit
surtout des mangroves. Ici et là des cocotiers et des feuillus géants. Par
cette chaleur éprouvante, ils nous prodiguent un écran protecteur apprécié.
Aussi, des murs infranchissables d'arbustes de dix à douze pieds de haut, dont
les troncs droits et rigides sont couverts d'épines d'un pouce et quart de
long. Plus loin, des champs de graminées géants, que le vent fait balancer au
dessus de nos têtes. Heureusement, des sentiers sont aménagés pour nous permettre
de circuler dans cette jungle rébarbative. Sans contredit toutefois, le plus
spectaculaire et exotique aspect de cette île est sa colonie de 5000 frégates.
Et nous sommes là, au début de la période des amours, quand ces majestueux
planeurs commencent à amasser des branches pour confectionner leur nid. Des
heures d'un bal incessant de centaines de ces oiseaux rares autour et au dessus
de nous. Les mâles avec leur gorge rouge qu'ils peuvent gonfler à volonté. Les
femelles avec leur tête et leur poitrine blanche, qui commencent à se faire
faire la cour. De très rares spécimens perchés, possiblement parce qu'en train
ou en voie de se faire un nid. La très grande majorité volant et planant, à
toutes les altitudes, en cercles et en zig zag, au dessus de la futaie destinée
à devenir à court terme leur site de ponte et de couvée. Chanceux sont ceux qui
à l'occasion voient planer en solitaire un de ces grands voyageurs au long
cours, car ceux ci se tiennent le plus souvent loin des rivages. Comment
appeler ceux qui comme nous en admirent des centaines à la fois, pendant toute
une journée, souvent à quelques pieds de distance?
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