Pendant que les québécois glissaient sur la neige, de notre
côté, nous le faisions sur l’eau. Dans des canots d’aluminium brillants de 16
pieds, nous avons participé à une visite guidée de 5 hres sur la rivière
Turner. Organisée par les autorités de la « Big Cypress Preserve »,
cette balade dans les marais représentait pour nous une première expérience. Il
s’agit d’un parcours de canots et kayaks très populaire, si bien que
l’achalandage avait sensiblement éloigné la faune du coin. Une exception
toutefois, soit les alligators. En effet,
ceux-ci étaient tellement amorphes et insouciants, qu’ils nous
laissaient les frôler presque, tellement était étroit et encombré le passage
laissé disponible aux embarcations.
Dans nos canots, nous devions circuler sans cesse en
zigzaguant et en nous penchant. Nous devions même souvent nous accroupir
tellement le dôme qui nous recouvrait était bas. Nous avions le sentiment de
circuler dans les galeries tortueuses et mal éclairées d’une quelconque
caverne. Comme de vrais explorateurs l’avaient fait avant nous dans les siècles
précédents. Nous ne nous sommes pas rendus jusqu’au golfe du Mexique dans
lequel se jette la rivière. Toutefois, cette première fut pour nous une bonne
initiation. Nul doute que nous partirions maintenant plus en confiance si
l’occasion nous était encore donnée de refaire seuls l’expérience. Peut-être au
camping Flamingo du parc des Everglades, qui sait?
Le « Big Cypress Preserve » fourmille de sentiers
et de routes de terre qui se prêtent bien à la ballade. Plusieurs, sinon la
totalité de celles-ci sont bordées par un canal d’irrigation poissonneux et
donc favorable à l’observation des oiseaux. C’est donc très optimistes que
nous avons emprunté la boucle faite par les routes « Turner River Road,
Wagon Wheel Road et Birdon Road ». On parle ici d’un trajet long de 17
milles. C’est donc en voiture plutôt qu’à pied que nous nous sommes exécutés.
Les oiseaux y étaient si nombreux, que nous étions plus
souvent arrêtés qu’en mouvement. Une partie importante de toute la gamme des
habitants des marais du « Big Cypress » était présente.
Notamment, des alligators, de toute grosseur, qui nageaient ou qui
« paressaient » sur le littoral, étendus de tout leur long.
Au retour, nous nous sommes arrêtés au plus petit bureau de
poste des États-Unis, soit celui de la bourgade Séminole dénommée Ochopee.
Croyez-le ou non, il s’agit d’une minuscule maisonnette en tôle blanche,
d’environ 75 pi.car. À peine de quoi y loger un comptoir, une chaise et
quelques tablettes de rangement.
Pour finir la journée, nous nous sommes offert une randonnée
d’un mille de long sur le trottoir de la « Kirby Starter Boardwalk ».
Deux univers cohabitent au même endroit. D’abord, un grand champ sec d’herbes
hautes, avec un jeune cyprès ici et là, chacun très espacé de ses voisins. Nous
espérions y voir des chevreuils mais en vain. Plus loin, un marais inondé, avec
d’immenses cyprès chauves cette fois, chargés de vignes, d’orchidées orangées
et de mousse espagnole. En surplomb, sous l’eau translucide, on peut distinguer
des dizaines de poissons. Les aigrettes leur font la chasse, accompagnées
d’ibis qui eux picorent le fond pour y dénicher un escargot ou toute autre
bestiole enfouie dans la vase. Le plus beau nous est offert par un anhinga,
couleur d’ébène, qui fait sa toilette
avec son bec, tout en se séchant les ailes et la queue sous le vent. Acrobate,
il réussit à se faire quasi un nœud dans le cou pour aller se gratter le dos
avec son bec. Ainsi en équilibre sur ses grosses pattes massives, en ballant au
bout d’une branche sèche, il pourrait certes postuler une place au Cirque du
soleil.
Dès 7 h 45, le lendemain, nous voilà en route pour la
« Marsh Trail », sise à 47 km de notre campement à « Monument Lake ». Incidemment, ce dernier tire son nom d’un monument qui y a été
érigé pour commémorer une rencontre officielle qui eut lieu en 1938, entre le
gouverneur de l’état et des représentants des Seminoles. À la fin de la
réunion, le chef du gouvernement demanda aux amérindiens s’il y avait quelque
chose qu’il pouvait faire pour eux. La réponse fut un bref et laconique
« laissez-nous vivre en paix ».
D’un mille et demi de long, la « Marsh Trail » est
bordée des deux côtés de superbes marais de mangroves. Ceux-ci font écran, si
bien que ce n’est que par quelques rares fenêtres que nous pouvons apprécier la
faune et son habitat. Un belvédère a été construit sur deux étages. L’immense
étang marécageux qui y fait face est une véritable carte postale vivante. On
pourrait y passer des heures, de préférence avec un télescope ou des jumelles,
pour y voir la vie qui bat. Au retour, une « O’Douls » au bord du lac
fait l’affaire. Il fait 86 degrés F et le temps est moite. Nous soupons en bordure
du lac orangé par le soleil couchant. Dans quelques minutes, nous partirons au
« Night sounds » du « Kirby Starter Evening Boarwalk Stroll ».
Nous voilà de retour, il est 21 h. Pendant une heure
environ, nous avons marché sur un trottoir de bois, en plein marais, sans lumière artificielle d’aucune sorte. Le
ranger Ron Applebaum nous a fait un cours magistral sur les 5 sens, en
insistant sur les différences importantes de chacun d’eux, d’un animal à
l’autre. Par exemple, l’odorat plus
raffiné des félins, grâce à leur organe de Jacobson situé sous la lèvre. Ou
encore, la pupille de l’alligator qui est quasi aussi grande que son œil, ce
qui lui permet de mieux voir la nuit et ce qui l’incite à la prudence le jour,
s’il ne veut pas devenir aveugle par excès de lumière. L’expérience fut certes
originale, en ce qu’elle nous a permis de réaliser qu’avec les minutes passées
dans la pénombre, l’œil s’acclimate et on y voit pas si mal que cela.
Le lendemain de cette marche nocturne, nous optons pour une
première visite formelle dans le parc des Everglades, soit à « Shark
Valley ». On y trouve une piste de 25 km qu’on peut parcourir à pied, en
tram ou à vélo. Nous optons pour les deux premiers modes de locomotion.
Contrairement à la « Big Cypress Preserve », la
région de « Shark Valley » n’a pas l’épaisseur du substrat qui permet
la pousse de grands arbres. En conséquence, d’immenses champs humides
s’étendent à perte de vue tout autour de nous. Quelques taillis de végétation
ici et là, mais d’une hauteur toujours inférieure (sauf exception) à une
quinzaine de pieds. Il en est de même des quelques rares cyprès qui poussent
ici et là. Même centenaires, ceux-ci ont des troncs qui ne dépassent guère les
4 pouces en diamètre.
En simplifiant grossièrement, on peut affirmer que le tiers
inférieur de la Floride est doté d’une rivière peu profonde (6 pouces à 3
pieds), qui s’étend sur une largeur de 40 à 60 milles et qui coule vers
l’Atlantique (à l’est), le golfe du Mexique (à l’ouest) et la baie de Floride
(au sud). Ceci est une vitesse de 100 pieds par jour. Le sol au sud de la
péninsule n’est jamais à plus de 20 pieds d’élévation au-dessus du niveau de la
mer. Si bien que ce cours d’eau tranquille est parsemé d’îlots, de canaux, de
mares, dont l’importance varie dépendamment que l’on soit en saison sèche ou en
saison des pluies. Au plus fort des basses eaux, les poissons doivent se
réfugier dans les quelques étangs devenus plus rares, ce qui oblige leur
prédateurs à être plus concentrés autour des quelques points d’eau plus clairsemés.
Inutile d’ajouter que ce phénomène facilite la tâche des prédateurs et des
observateurs d’oiseaux, puisqu’ils ont beaucoup moins de territoire à couvrir
pour se nourrir, que ce soit de protéines ou d’images.
La steppe de « Shark Valley » est une de ces
régions qui regorgent de toute la faune des Everglades. Si on fait abstraction
des animaux particulièrement farouches et difficiles à voir, comme par exemple le raton-laveur, la
panthère, l’ours noir, le chevreuil, le sanglier, la loutre et certains autres,
nous y sommes on ne peut mieux servis pour admirer à satiété tous ceux qui ont
moins peur de l’humain. Des dizaines d’alligators se font chauffer la couenne à
deux pas de nous. Ils prennent ainsi un bain de soleil pour accumuler de
l’énergie en prévision de leur éventuelle chasse nocturne. De la même façon,
toute la gamme des pêcheurs ailés à grandes pattes est présente en très grand
nombre. Elle ne se repose pas toutefois. Elle est sans cesse active et à
l’affût, sous nos yeux admiratifs.
Notre quête de scènes de la vie aviaire nous permet de
connaître un moment de grâce. En effet, nous avons le privilège d’observer
une mère anhinga, sur son nid, avec ses 4 poussins encore duveteux. Belle scène
familiale où celui des quatre qui est le plus insistant pour être nourri
était aussi de loin le plus costaud et le plus vigoureux. Comme quoi, ce sont
les gueulards qui ont le plus souvent la bouche pleine.
Non loin de là, puisque la courte saison des amours bat son
plein, des mâles anhinga nous présentent des tableaux de maître, puisque
parés de leurs couleurs nuptiales. Que ce soit au repos, les bras en croix et
en équilibre sur une branche, ou sous l’eau, en chasse, propulsés à
l’horizontale par leurs imposantes pattes palmées, ils nous offrent une
exposition de moments de la vie quotidienne digne des grandes galeries.
Coucher de soleil sur le "Monument Lake"
L'emplacement des gardiens du camping au "Monument Lake"
Un intrus "gator" espérant un lunch
L'excursion sur la rivière Turner (mangroves)
Explications de notre guide sur la rivière Turner
Campement de nos amis Armande et Jacques sur le "Monument Lake"
Même la visibilité était réduite sur le "Monument Lake" certains matins
Notre photographe ne manque aucune chance